Blu-ray Tess : Interview de Léon Rousseau !
À l’occasion de la sortie du Blu-ray de Tess, j’ai eu l’opportunité de pouvoir poser quelques questions à Léon Rousseau, responsable de la restauration du son pour LE Diapason.
Pourriez-vous vous présenter, évoquer brièvement votre parcours professionnel et ce qui vous amené à votre poste actuel ?
LR. Je m’appelle Léon Rousseau. Je suis ingénieur du son et, entre autres choses, je suis spécialisé dans la restauration sonore pour le cinéma. Il y a une quinzaine d’année, je suis rentré chez Lobster Films comme assistant de nuit. Cette société a été pionnière dans le domaine de la restauration sonore numérique dès 1989, et je me suis rapidement intéressé à cette problématique.
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Une petite présentation de la société, LE Diapason, nous intéresse vivement.
LR. En 2002, Lobster a monté, en partenariat avec les Laboratoires Eclair, un studio de mixage destiné essentiellement à la restauration sonore. En 10 ans, la petite équipe composée de Nicolas Teichner, de Nicolas Ruau et de moi-même a restauré pas loin d’un millier de longs métrages parmi lesquels Lola Montes, Les Vacances de M. Hulot, les films de Charles Chaplin, de Robert Bresson, Les Enfants du Paradis…
Comment réalisez-vous une restauration son ? Expliquez-nous à partir de quel matériel partez-vous et vers quels objectifs vous orientez-vous ?
LR. Parlons d’abord des objectifs. Nous considérons que, comme le montage ou la photo, le mixage fait partie intégrante du film et que toucher au mixage revient à dénaturer le film. Le cinéma est un art particulièrement auto-référent et il est donc essentiel de permettre aux jeunes générations d’appréhender le patrimoine dans les meilleures conditions et sans modification des Å“uvres originales. Nous sortons de la décennie DVD pendant laquelle pas mal d’horreurs ont été commises. La possibilité d’éditer les films en 5.1 semblait s’être transformée en nécessité de « faire du 5.1 », ce qui a donné lieu à un certain nombre de procédés douteux tout à fait irrespectueux des mixages originaux. Pour nous, le but du jeu est de permettre au public actuel de vivre une expérience cinématographique proche de celle vécue par les premiers spectateurs du film. Il ne s’agit pas de faire une relecture ou une réinterprétation du mixage original, mais de gommer les outrages du temps, dans le respect du travail de nos ainés. Un film mono doit donc rester en mono, mais ce mono peut être de très grande qualité. D’autant que les formats multicanaux existent depuis les années 40, il est donc essentiel de ne pas mettre tous les films à égalité, de ne pas réécrire l’histoire. Techniquement, pour résumer, il s’agit d’abord de localiser le meilleur élément source, qu’il soit photochimique ou magnétique. Ensuite, il faut numériser cet élément le plus finement possible. En cela, nous disposons de technologies novatrices qui permettent de lire les éléments sonores avec une précision très supérieure aux systèmes de lecture traditionnels. Vient ensuite la restauration numérique, qui permet d’atténuer ou d’enlever la plupart des défauts gênant. C’est lors de cette étape qu’il faut savoir s’arrêter pour ne pas dénaturer les qualités intrinsèques de la source. Enfin, nous faisons un mastering pour la diffusion en salle et un autre pour les utilisations vidéo.
Dans quel état était le son sur Tess ?
LR. Tess est l’un des premiers films à avoir été mixé en Dolby Stéréo, qui est un format 4 canaux (LCRS) encodés de manière analogique sur 2 pistes destinées à être dématricées pour retrouver les 4 canaux au moment de la projection en salle. Le mixage semble avoir été assez compliqué, le film essuyant probablement les pots cassés dus à l’utilisation d’un format naissant. Les différentes bobines étaient donc assez inhomogènes. De plus, la bande magnétique s’était démagnétisée de manière uniforme sur toutes les bobines, il a donc fallu harmoniser les timbres et les niveaux pour retrouver une vraie continuité qualitative. Les techniciens qui ont participé au son de ce film ont rapidement vu l’intérêt qu’ils pouvaient tirer du format multicanal dans l’utilisation des ambiances. Le décor naturel joue un grand rôle dans le film et il est appuyé de façon subtile et riche par le travail sur les ambiances. Or, les ambiances sont les éléments qui risquent le plus de pâtir d’une restauration sonore trop agressive. Il a donc fallu Å“uvrer avec la plus grande délicatesse.
Quel encodage avez-utilisé et pourquoi ce choix ? (DTS, DTS-HD, LPCM, Dolby Digital, 2.0, 5.1 ?)
LR. L’encodage de Blu-ray ne dépend pas vraiment de moi. Je livre des fichiers non compressés qui doivent être encodés sans modification de la dynamique. Les codecs que vous citez sont tous d’excellent codecs et même si, en théorie, le PCM a ma faveur puisqu’il ne subit pas de compression de données, mais objectivement, les déperditions dues à un format tel que le DTS sont de l’ordre de l’épaisseur du trait. Le Dolby Digital a posé plus de problèmes au début de l’ère DVD à cause des méta-data qui se proposaient de gérer la compression dynamique à la diffusion et qu’il fallait contourner sous peine d’entendre ses mixages maltraités à la lecture. Mais en dehors de cela, le codec Dolby en lui-même est très bon. Pour Tess, nous avons conservé le format d’origine 4.0 que nous posons dans un format 5.1 sans modification esthétique.
D’une manière générale, si le son est très mauvais, comment faites-vous ?
LR. Je pleure. Mais si on fait les choses bien et que l’on a accès à tous les éléments disponibles, il est bien rare que l’on ne trouve pas un élément décent. Evidemment des films très anciens avec une histoire compliquée comme Zéro de Conduite, de Jean Vigo, partent de sources très endommagées, mais on arrive tout de même à un résultat honorable. Et puis parfois, on a de bonnes surprises, comme par exemple pour Le Quai des Brumes qui ressort ces jours-ci et pour lequel on a retrouvé le négatif original dans un état exceptionnel.
Profitant d’avoir un expert à portée de plume, pouvez-vous nous expliquer les différences entre les encodages DTS, DTS-HD, LPCM, Dolby Digital ?
LR. Encore une fois, la compression est plutôt l’affaire de ceux qui réalisent les encodages. Tant qu’il n’y a pas d’artéfact audible, que le spectre et la dynamique sont respectés, ça me va.
Comment, vous, en tant que spectateur ou vidéophile, appréciez-vous les pistes sons ? (vous percevez sans doute plus facilement le travail bâclé, les erreurs de son ou les encodages ratés…)
LR. J’ai tendance à redevenir simple spectateur assez facilement. Après j’ai probablement une écoute un peu plus analytique que la moyenne, mais il faut combattre ça pour pouvoir rentrer dans les films en vrai spectateur. Ce qui m’agace le plus, c’est l’uniformisation esthétique grandissante dans beaucoup de productions, même indépendantes. J’aime bien les mixages atypiques comme celui de Heat ou de No Country for Old Men.
Etes-vous un consommateur de Blu-ray ?
LR. Oui, mais en terme de son, le DVD était déjà une grosse avancée. Dans le domaine du film de patrimoine, la période est plutôt marquée par l’avènement du cinéma numérique qui nous permet enfin de voir les films en grand avec un son numérique. Avant cela, les films restaurés étaient reshootés en 35 mm, et au bout de 30 passages, la piste son optique était à nouveau abimée. Les DCP nous permettent enfin de retrouver en salle ce que l’on a en auditorium de mixage, même après 200 lectures.
Que pensez-vous de ce format, encore bien trop méconnu du grand public ?
LR. Le cinéma est un art qui s’adresse à l’intellect, mais aussi au sens. Le Blu-ray permet, si on s’équipe à peu près correctement de retrouver une partie des sensations que l’on a en salle. Après, rien ne remplace la salle, particulièrement pour les vieux films qui n’ont jamais été pensés pour être vus sur un iPod. Et puis on ne reçoit pas un film de la même manière que l’on soit tout seul devant sa télé, aussi grande soit-elle, ou entourés d’autre êtres humains dans une salle pleine.
Et si vous ne deviez garder que 5 films sur vos étagères… donnez les titres…
LR. Dans le désordre :
– Il était une fois dans l’Ouest
– Soy Cuba
– Un Condamné à Mort s’est échappé
– 12 hommes en Colère
– No Country For Old Men
Quels sont vos futurs projets ?
LR. Nous attaquons tous les films de Tati. Nous continuons de restaurer le catalogue Gaumont ainsi qu’une partie de celui de Pathé. L’un et l’autre sont des clients qui ont toujours mis de gros moyens dans la préservation de leur patrimoine et ce depuis pas mal d’années.
Une chose à ajouter ? Un oubli intéressant à évoquer ?
LR. J’espère ne pas avoir été trop long…
Un très grand merci à Léon Rousseau, Emilie Imbert et à Pathé pour cette interview – Cédric // www.blurayenfrancais.com