Tribune de Vincent Paul-Boncour, co-fondateur et directeur de Carlotta Films, suite à l’article intitulé paru dans le Télérama N°3729 qui prône et promeut la piraterie des films
Le 2 juillet 2021
Nous avons découvert et lu avec stupeur un article paru dans le Télérama de mercredi dernier qui prône et promeut la piraterie des films !
Terrible qu’un journal aussi sérieux et de référence comme Télérama (et plein d’autres médias ces derniers temps, comme France Culture, Les Cahiers, Le Monde …) puisse décemment agir de la sorte, de manière complètement décomplexée. Cela serait-il la nouvelle tendance, Covid – post-Covid ?
Je ne souhaite pas citer ni le journaliste responsable de l’article, ni l’espace qui transmet de manière illégale des fichiers de films, auprès de 16 000 abonnés de ce groupe Facebook. Cela serait leur faire trop d’honneur et de publicité.
Néanmoins, on ne peut plus tolérer cette situation sans réagir, face à une attitude maintenant publique, irrespectueuse et interdite, vis-à -vis des créateurs de films, des auteurs, de l’ensemble des professionnels (producteurs, distributeurs, éditeurs, boutiques,
…) et des spectateurs in fine.
Télérama, en portant au pinacle un des malheureusement trop nombreux acteurs de la piraterie des films, en fait la promotion et, par son rôle prescripteur, conseille et oriente ses lecteurs, lectrices à voir des films de manière illégale sur ce site ; détournant par là -même son lectorat des nombreuses manières légales et normales de voir des films (la salle de cinéma, en vidéo, en VoD/SVoD, à la télévision) au profit de manières illicites.
On pourrait débattre sans fin des raisons ou pseudo justifications de la piraterie, par ses défenseurs et participants. Comme l’absence de possibilité de voir tel ou tel film, l’impossibilité d’avoir accès à certaines œuvres, qui justifieraient ces attitudes.
L’histoire du cinéma qui couvre plus de 120 ans maintenant est une matière vivante, avec des films qui sont, deviennent disponibles, dans tel ou tel territoire à l’instant T, mais ne pourraient pas l’être avant ou après. Il faut mettre fin à cette illusion que tout doive / puisse être accessible quelles qu’en soient les conséquences, … quand tant d’œuvres sont (re)découvertes, exhumées, au quotidien par les différents acteurs (salles de cinéma, cinémathèques, festivals, éditeurs vidéo, plateforme VoD, chaînes de télévision).
Évidemment, on nous argumentera que c’est formidable l’actualité du marché de patrimoine, mais qu’elle est « dictée » par les professionnels, mais que « nous le public voulons voir » tel ou tel film, qui n’est pas forcément accessible légalement, etc. Tous ces professionnels, ces passeurs, qui sont des passionnés, ne sont-ils pas également « le public »,
qui sourcent inlassablement les droits des films dans le but, justement, de les montrer à tous, dans les meilleures conditions possibles ?
La piraterie n’est pas nouvelle, elle existerait depuis la « nuit des temps ». Concernant le cinéma, le trafic de copies 16 mm, 35 mm, de VHS copiées, puis de DVD, … maintenant aussi de fichiers. Sans parler des fameux bootlegs dans la musique. Mais auparavant, cela était caché, un peu honteux, en souterrain, en douce … Maintenant, c’est affiché au grand jour, de manière complétement décomplexée, on en parle ouvertement dans les journaux, les radios … Tout cela paraît normal, voire bien, tendance.
Mais où allons-nous ?
Pourquoi ne pas avoir des salles de cinéma qui projetteraient des films sans droits, des éditeurs sortant des films sans en avoir des droits, idem des plateformes VoD et des chaînes de télévision… qui justifieraient la diffusion de films sans en détenir les droits, car leurs spectateurs.trices, audiences souhaiteraient les voir !
Non, heureusement, ce monde n’existe pas. De toutes les façons, cela serait impossible à faire, car interdit et réprimandé dans la foulée.
En revanche, il semblerait que tout ce qu’on vient de décrire, impossible sur tous les autres médias, puisse en revanche bel et bien exister sur Internet !
Évidemment, il y a des pans du cinéma, des films plus ou moins méconnus qui ne sont pas visibles pour des problèmes de droits, d’ayants-droits qui ne souhaitent pas les diffuser, des problèmes de matériels, d’avoir et de trouver les financements pour faire revivre une œuvre,
… Mais tôt ou tard, cela arrive, grâce au travail, encore une fois, des professionnels, dont c’est à la fois la passion et le métier.
Par exemple, depuis des années, par rapport au travail que nous réalisons sur l’œuvre de Barbet Schroeder, nous recherchons à éditer dans une très belle édition vidéo et master restauré un de ses grands films, BARFLY, inédit en Blu-ray/DVD en France. En vain, pour des questions de droits sur ce support. Mais le film est diffusé de temps en temps, à la télévision, dans des festivals, hommages à Barbet (Centre Pompidou, Festival de la Rochelle, etc.), édité dans un certain de nombre d’autres pays en Blu-ray et DVD… Il est donc visible en France, certes pas le plus massivement, mais visible néanmoins. Devrait-il, dès lors, car inédit en vidéo en France, être disponible illégalement sur des sites français ? Non, certainement pas !
L’un des grands arguments de « cette plateforme pirate », outre combler le soi-disant manque de la diffusion et la préservation (préservation de quoi ? de fichiers piratés, volés et peut-être non restaurés, en mauvais état parfois, ou préservation de « rip » de Blu-ray d’éditions du monde entier, d’enregistrements TV ou d’éléments de laboratoire…), cela serait leur approche vertueuse, ne pas partager des films qui existeraient en France sur support physique ou dématérialisé de manière légale. Mais un film peut ne pas être disponible à l’instant T mais dans quelques mois / années suivantes, et aura donc été montré pendant de longs mois, d’années de manière illégale. Et peut-être le travail de certains serait
mis à terre si ce site présentait depuis un moment ces films. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un titre n’est pas disponible en France, qu’il ne l’est pas ailleurs dans le monde.
Un film a des ayants-droits et du matériel qui lui est propre, il y a les droits matériels et immatériels. Présenter un classique qui ne serait pas édité/distribué en France, mais en Angleterre, aux États-Unis ou ailleurs, en ayant ripé le Blu-ray, la restauration faite par autrui, c’est autant du piratage que de ne pas en respecter les droits. Détourner pour soi- même (et soit disant les autres) le travail, les investissements et la passion mis en œuvre par un ayant-droit, une institution ou une fondation par exemple.
Cela a trop duré, que font l’État, la tutelle du cinéma, le CNC, les différents acteurs de droits d’auteur que sont la SACD, la SACEM, les ayants-droits, l’ALPA ? Les autres distributeurs/éditeurs, les plateformes VoD/SVoD légales, les chaînes de télévision ?
Par quelle impunité une certaine presse qu’on adore pourtant, qu’on soutient et qui nous soutient, peut-elle impunément, consciemment ou inconsciemment, porter aux nues la piraterie, illégale par définition ?
Dans un monde d’après qu’on nous a tant vanté, il serait temps de se poser, et de mettre un terme enfin à tout cela.
Vincent PAUL-BONCOUR CARLOTTA FILMS